à mon mari

Publié le par plume d'ange

 

Margot est mort-née ou née sans vie comme il est d’usage de dire, le 29 octobre 2003. Ces années ont passé très vite. J’ai l’impression que c’était hier et en même temps, c’est comme si Margot avait toujours fait partie de ma vie, que l’événement de sa mort a continué de me construire, comme s’il m’avait toujours habité.

 

Nous habitons Troyes. Maïlys a 18 mois, elle a hâte de voir la chose qui va sortir du gros ventre de maman et attend l’arrivée de sa sœur avec impatience. Voilà presque un mois que j’ai des contractions sans que rien ne se passe. Puis le jour J arrive. Même le bain ne calme pas les contractions, ça y est, c’est pour ce soir. Formidable, nous allons enfin être réunis tous les 4. Nous partons vite à la maternité. Une sage-femme nous accueille et nous confirme que le moment est venu. Elle me propose de m’installer directement en salle d’accouchement pour les examens d’usage. Elle installe le monitoring. RIEN. Me résonne encore dans la tête cette phase de la sage-femme « mais où il est ce bébé ? ».

 

La première idée qu’il m’est venu à l’esprit est qu’évidemment l’appareil ne fonctionnait pas et que la petite était tellement bien cachée qu’il était impossible de saisir les pulsations de son cœur. Puis la sage-femme m’a dit qu’elle allait chercher le gynécologue de garde. J’ai aussitôt pensé à la préparation de l’accouchement où à plusieurs reprises l’animatrice nous avait dit : « (…) dites-vous que si vous voyez arriver le gynécologue c’est qu’il y a un problème (…) ». J’ai été envahi d’un sentiment ambigu où j’ai compris immédiatement ce qui se passait et où je refusais tout en bloc. L’équipe s’affairait. En silence. Il y avait beaucoup d’agitation silencieuse autour de nous. On ne nous disait rien. Avec l’échographie, le gynécologue nous a annoncé qu’il était fort probable que la petite ait cessé de vivre mais qu’il allait falloir l’expulser. Nous étions désemparés. Je ne cessais de crier « c’est pas possible, c’est pas possible ». Et pourtant, je savais au fond de moi, ce qu’il en était, que c’était une épreuve qu’il allait falloir traverser. Jusqu’à ce que la poche des eaux se rompe, j’espérais un miracle, j’espérais qu’elle allait se mettre à pleurer une fois expulsée. L’équipe soignante s’est montrée déstabilisée. Tout le monde a disparu laissant place à la sage-femme et l’auxiliaire de puériculture qui allait nous accompagner, avec beaucoup d’humanité, durant cette dure épreuve. Comme un vol de moineaux, tout le monde a disparu, prétextant beaucoup de choses à faire, changement de garde, sans doute vrai mais surtout le bienvenu pour ces soignantes qui n’était pas là pour accueillir la mort…

Maintenant il fallait sortir ce bébé. Ma première réaction a été de refuser et de demander une césarienne. Malgré mon insistance, après une longue attente et des explications du médecin, il a fallu se concentrer et mettre entre parenthèse notre douleur psychique. Aujourd’hui, avec du recul, je les remercie de m’avoir permis de mettre au monde mon bébé, d’aller au bout du processus. Sur le moment, je les ai trouvés inhumains.  L’attente entre l’annonce du décès et l’expulsion a été terrible. Nous nous sommes retrouvés face à face avec mon mari, incrédules, comme anesthésiés par la douleur, par l’incompréhension et la stupeur.

Puis il a fallu faire comme si, comme si un heureux événement allait se présenter, tous deux centrer sur ce travail, faisant abstraction du contexte, comme un devoir à accomplir. L’équipe qui nous a accompagnés a été formidable, cherchant toujours à limiter mes souffrances physiques. Aussitôt, elles ont pris Margot qui n’a évidemment pas crié. Nous entendions à côté de nous des mamans hurler et des bébés crier leur joie de vivre.

 

Il m’est très difficile encore aujourd’hui d’entendre des battements de cœur, quels qu’ils soient, moi qui au cours de la grossesse n’y prêtait pas vraiment attention. Ce bruit de locomotive m’amusait beaucoup mais ce qui m’importait, c’était de la voir, de la sentir bouger, ce battement de cœur était tellement une évidence…

Elles nous ont ramené Margot ensuite, et nous ont proposé de passer un moment avec elle. Notre première réaction a été le refus. Ce qu’elles allaient nous présenter n’était pas notre enfant mais un bébé mort, qui ne correspondait pas à la représentation que nous nous étions fait de ce moment. Elles ont délicatement insistées en nous disant qu’elles nous laissaient réfléchir et qu’il serait encore temps de le faire un peu plus tard. Nous sommes restés longtemps seuls avec Olivier dans la salle d’accouchement. Nous nous sommes dit tout un tas de choses dont j’ai oublié le contenu en détail mais surtout que nous nous aimions, que nous étions là l’un pour l’autre et que nous devions être forts. Une des premières choses qui m’est venue à l’esprit est un reportage que j’avais vu sur des parents endeuillés. Ils expliquaient combien il était rare que ces parents arrivent à poursuivre leur route ensemble pour des raisons que je comprends aujourd’hui. J’en ai parlé à mon mari, en lui disant que je ne voulais pas faire parti de ces statistiques. Nous avons crié de douleur et décidé de voir notre bébé. L’auxiliaire de puériculture nous l’a porté, enveloppé dans un drap, elle était magnifique. L’auxiliaire nous a proposé de rester un peu seuls avec elle. Nous avons refusé. Nous étions terrifiés, incapables de gérer quoi que ce soit. Face à notre panique, elle est restée, elle nous accompagnés en silence en regardant affectueusement Margot. Nous, nous pouvions à peine la regarder, je l’ai à peine effleuré et je regrette aujourd’hui de ne pas avoir pu la prendre dans mes bras, l’embrasser et lui dire combien je l’aime.

On nous a dit qu’elle état morte depuis vraisemblablement 24 ou 48h : elle avait une triple circulaire et un nœud au cordon.

J’ai été conduite en service gynécologie (et non maternité). Mon mari est rentré à la maison, il a eu la dure tâche de l’annoncer à nos parents par téléphone car nous étions loin de notre famille. J’avais un sentiment de vide immense, un gouffre sans fin. Ce sentiment surgit encore parfois. Je ne savais pas comment réagir, tout était soudain, j’étais incrédule. Et j’avais mal tellement mal au plus profond de ma chair.

Il a fallu ensuite s’occuper des obsèques. Comment on prépare des obsèques ? On n’en sait rien nous à 24 et 30 ans, ce n ‘est pas de notre âge de s’occuper de ça et pour notre enfant en plus !! La cadre de santé nous a donc expliqué en détail les démarches à suivre (et Dieu sait qu’il y en a !), le rapatriement du corps, l’enterrement… Moi je ne comprenais pas un traitre mot de ce qu’elle nous racontait, je crois surtout que je ne voulais rien entendre de tout cela. Mon mari a été extraordinaire car il a dû gérer cela seul pendant mon hospitalisation. J’ai demandé à sortir très rapidement pour retrouver Maïlys. Le retour à la maison a été très dur.

 

Une des premières épreuves à affronter a été l’annonce à notre entourage. Nos amis attendaient en effet eux aussi depuis un mois l’arrivée de la petite. Le seul moyen qui nous est venu spontanément à l’esprit est le mail. Etrange non ? Vive le 21ème siècle !!! Ce n’était sans doute pas idéal pour ceux qui l’on reçu mais nos forces rassemblées ne nous ont pas permises d’utiliser un autre moyen. Je crois que cela a été constructif pour mon mari et moi. Nous l’avons fait ensemble, nous mettant d’accord sur le moindre mot. Nous avons « posé » l’événement au propre comme au figuré.

Nous ne répondions que peu voire pas au téléphone. Ils nous étaient difficile d’une part de ressasser l’événement et d’autre part d’avoir à rassurer les gens, les réconforter sur notre état et implicitement sur le fait que ce n’est pas contagieux voire que ça se répare…

« Il y à Maïlys et puis tu en auras d’autres… » Oui mais Maïlys est Maïlys, elle n’a pas à porter le poids du décès de sa sœur et personne ne remplacera jamais Margot.

Mais je n’en veux à personne. La mort d’un enfant, c’est terrible, c’est effrayant, quoi faire, quoi dire ? On nous a souvent dit : « je ne sais pas quoi te dire ». Effectivement, il n’y a rien à dire, rien à faire. Juste à être là, présent. La moindre marque d’affection était importante pour nous, une carte, un message, un mail, un sms, peu importe, nous n’étions pas seuls, nous les sentions présents, même si nous ne voulions voir personne.

 

Une autre épreuve encore, l’administratif. Je me souviens de cet appel passé à notre assurance pour savoir si nous avions droit à des aides financières. Ce n’est pas le plus important mais le rapatriement d’un corps à 600 kms coute très cher et cela rajoute une difficulté supplémentaire à la situation. Je vous livre brièvement notre entretien.

Après avoir expliqué ce qui nous arrivait, mon interlocutrice me répond d’un ton neutre, comme si je lui demandais une attestation d’assurance:

« - Mais je ne comprends pas, il est mort ou il est né votre bébé ?

- Mon bébé est né sans vie, elle est mort-née.

- Ah, bon. (silence) Alors vous avez accouché d’un bébé mort …

- C’est cela, j’ai accouché d’un bébé mort

- Ca y est j’ai compris »

Ouf. C’est presque de la thérapie comportementale ça ! Répétez après moi : votre bébé est mort. Bref, il vaut mieux en plaisanter. Sur le moment j’étais effarée.

 

Puis il y a eu l’enterrement.

Je ne résiste pas à raconter l’anecdote du coussin de marbre. Nous souhaitions mon mari et moi qu’il y ait sur la tombe, un petit objet qui marque la présence de notre fille sans que cela soit triste ou morbide. Nous nous rendons donc dans un magasin de pompes funèbres. Les propriétaires n’étaient pas là mais un fossoyeur se proposa de nous renseigner. Nous exposons donc notre demande à ce monsieur qui nous aida à trouver (avec beaucoup de difficulté) ce que nous cherchions. Au moment de payer, pour être sûr qu’il avait bien compris, il insista :

« Alors c’est pour votre bébé qui est mort ?

- Oui

- C’est triste ça, vraiment… Allez va, puisque c’est pour votre bébé qui est mort, je vous le fait à 50€ au lieu de 52 ! »

Nous sommes partis dans un fou rire extraordinaire (sans doute nerveux). C’était en effet la façon qu’il avait trouvé pour nous manifester sa compassion. Très maladroit mais très touchant. Je pense encore à ce monsieur avec beaucoup de tendresse.

 

Mon mari, ou peut-être quelqu’un d’autre, je ne sais plus, m’a proposé que l’enterrement se déroule uniquement avec la famille. D’accord. De toute façon, je m’en moque, je suis loin de tout cela. Et pourtant non.

Quelques années après, je me rends compte que je ne me suis pas suffisamment écouté. A cette époque, je voulais tout faire pour les autres, pour qu’ils se sentent bien, qu’ils n’aient pas de peine. L’enterrement a donc eu lieu en petit comité alors que, je crois que j’avais besoin de manifestations d’amitié, de soutien non pour donner notre malheur en spectacle mais pour me donner du courage et peut-être donner vie à Margot. Nous avons quitté (fui plutôt) la région où nous étions, dans laquelle je me plaisais beaucoup, pour rentrer prés de notre famille, à la « source », comme l’a voulu mon mari. Nous avons ensuite assez rapidement acheté une maison, qui nous pèse aujourd’hui, parce que c’était le rêve de mon mari etc… Personne ne m’a jamais rien imposé, c’est moi qui ait accepté voire encouragé ces actions, contre moi, pour les Autres. Mon mari allait si mal, il était plongé dans une dépression et j’aurai tout fait, tout, jusqu’à me nier pour qu’il se sente mieux.

J’ai oublié de dire que je suis psychologue. Vous comprenez bien qu’une psy ça sait gérer ses émotions, maîtriser son deuil, accompagner son mari... Et comme j’ai un fort caractère, j’ai donc porté la famille à bout de bras pendant de longs mois. Et c’est lourd une famille !! Mais « toi tu es forte, c’est bien. Prends bien soin de lui surtout !!! » Je n’y manquerai pas…

 

Tout cela m’a beaucoup pesé et me pèse encore parfois. Tout comme le poids de la société, de ses clichés, de ses représentations et de ses obligations implicites, qui induisent ces remarques remplies d’amour, mais qui m’ont tellement troublées:

« - Tu manges au moins, surtout il faut manger ». Oh oui, je mange, je dévore même, je me remplis, j’essaie de combler ce vide immense que je sens en moi. Je ne suis donc pas normale ? Quand on est en deuil on ne doit pas manger ? C’est cela que l’on attend de moi, que je jeûne parce que je souffre ?

« - Il ne faut pas culpabiliser, ce qui arrive ce n’est pas de ta faute ». Bien sûr que ce n’est pas de ma faute, je n’ai pas tué mon bébé, je n’ai rien fait pour que cela arrive, je l’ai tellement cajolée pendant 9 mois. Mais si on me dit cela, alors que je n’y avais même pas pensé, c’est que je suis peut-être responsable ? Je suis donc une mère indigne, sans cœur qui ne culpabilise pas de la mort de son enfant ?

Et ces regards interrogateurs voire inquiets quand je ris, quand j’ironise ou que je fais des blagues. Ces sourires « jaunes » qui ne savent pas comment interpréter mes réactions, qui au demeurant n’ont rien de caché - je vis, je survis. On attend donc de moi que je m’effondre dès que je croise quelqu’un ? Ce n’est pas possible, j’ai un enfant à m’occuper, une famille à gérer.

Cela ne m’empêche pas de ressentir, de souffrir, de vivre avec violence toutes les premières fois que Margot ne connaitra pas.

 

J’ai compris, intériorisé plutôt, récemment que nous étions tous différents. Quelle banalité n’est-ce pas ? Moi la psy, j’ai appris cela pendant mes études : « chaque individu est unique », le « Sujet » etc… Oui, cela je l’avais intellectualisé, pas vécu. J’ai eu du mal à comprendre pourquoi mon mari ne réagissait pas comme moi. C’est quand même extraordinaire, si j’arrive à prendre le dessus pourquoi pas lui, pourquoi il ne se bat pas ? Parce que nous réagissons avec ce que nous sommes, qui nous sommes, chacun avec notre histoire et c’est aussi cela qui fait la richesse d’un individu, unique…

 

J’ai beaucoup souffert de vouloir être forte. J’ai voulu tout prendre sur moi, tout assumer. Mes proches, leurrés, ont rajouté une pression supplémentaire me demandant de bien m’occuper de toute ma petite famille. Je me suis épuisée. J’avais peur de lâcher. Que va-t on devenir si je m’effondre, moi le pilier de la famille ? (prétentieuse !!)

Nous sommes allés voir notre médecin traitant. Il a utilisé une métaphore formidable pour représenter le couple :

« Un couple c’est comme une balance. Il est très difficile d’équilibrer les 2 plateaux, quand ça arrive (rarement) c’est le bonheur parfait. Quand il y en a un complètement en bas, l’autre est en haut et vice versa. Donc, Olivier est en bas, ne t’inquiète pas, si tu craques, il va remonter pour assurer à ta place… » Et c’est précisément ce qu’il s’est passé. Merci Thierry !!!

 

J’ai beaucoup culpabilisé. Non pas au sujet de la responsabilité de la mort de Margot mais de la souffrance que j’ai ressenti. J’avais honte d’avoir aussi mal, de l’aimer aussi fort alors que finalement je ne l’avais officiellement pas connu. Alors qu’il y a des parents qui perdent leur enfant à 6 mois, 2 ans, 10 ans, 20 ans, 50 ans… Toutes ces années passés avec eux et puis plus rien du jour au lendemain. La douleur psychique ne se mesure pas, ne se quantifie pas, éventuellement elle se qualifie mais c’est tout. J’ai compris que je vivais la douleur d’une mère qui aime son enfant et qui sait qu’elle ne le verra plus. C’est tout.

J’ai lu des écrits sur le deuil périnatal édité par le centre François-Xavier Bagnoud (merci Mireille !) qui m’ont beaucoup aidé à ce propos. J’ai lu ce que je ressentais et ce n’était pas moi qui l’avais écrit, c’était donc peut-être normal ? Mon ressenti est donc légitime, j’ai le droit de le vivre ?! C’est aussi l’objectif de ce témoignage.

 

Une autre grande source de souffrance est de ne pas pouvoir parler d’elle facilement. Non pas que je n’ose pas prononcer son prénom ou dire qu’elle est morte. Seulement, personne ne veut ou ne peut en parler. Ils ne l’ont pas vu, n’ont pas une représentation précise de qui elle aurait pu être (contrairement à nous, ses parents), il ne reste rien de palpable d’elle (pas de photo, pas de doudou qu’elle aurait pu tenir quelque heure) rien que la souffrance. L’on-t il oublié ? Non je ne crois pas. Pourquoi ne pas l’évoquer alors, même furtivement. Je suis à l’affut de la moindre allusion ou de l’occasion qui me permettra de glisser quelques mots sur elle. Tout mon corps vibre à la fois excité, troublé et heureux de ce peu de mots échangés à son sujet. Une amie m’a dit récemment :

« Je voulais te dire, je suis désolée de ne pas avoir été plus présente au moment du décès de Margot, j’été incapable d’affronter la situation. Je suis aussi désolée de ne pas savoir quoi te dire quand tu parles d’elle. Je sens bien que tu as envie d’en parler. Je crois qu’il n’y a pas une conversation où tu ne glisses pas son prénom et je ne sais jamais quoi te répondre. »

Cela m’a fait énormément de bien. Je pensais que personne ne s’en rendait compte, que je brassais du vent et que tout le monde s’en moquait.

J’en parle souvent en effet (trop ?) non pas avec tristesse et amertume mais avec Amour, me rappelant avec douceur ces 9 mois passés ensemble. Je pense souvent qu’elle est morte à 9 mois. La première fois que je l’ai dit alors qu’on me demandait l’âge de sa mort, c’est sorti spontanément, naturellement. J’étais très surprise mais cela c’est imposé à moi comme une évidence. Neuf mois merveilleux, de partage et d’attente enthousiaste.

 

Puis Luna est arrivée. Notre lueur dans la nuit… La grossesse a été émotionnellement très difficile. Nous nous sommes fait accompagner par un psychologue. J’avais surtout peur de projeter sur elle l’image de Margot. Je n’avais pas particulièrement peur qu’il arrive un accident (le gynécologue s’est montré très rassurant et a pris toutes les précautions nécessaires) mais je craignais qu’inconsciemment Luna remplace Margot. Même en ayant le risque à l’esprit, une dérive émotionnelle est très vite arrivée. Il était hors de question que Luna porte le poids du décès de sa sœur. L’héritage était suffisamment lourd comme cela.

Nous avons donc eu 3 filles. Jusqu’il y a peu de temps, quand on me demandait combien j’avais d’enfants, je répondais 2. Je voulais en effet épargner au gens d’avoir à dire quelque chose, de les mettre mal à l’aise, de réveiller en eux des souffrances peut-être enfouies, que sais-je... Cela me provoquait un malaise immense, un sentiment de honte, une douleur dans les tripes, difficilement supportables. J’avais l’impression de bafouer ma fille, de la nier, de l’insulter. Je dis aujourd’hui avec sérénité et fierté que j’ai eu 3 enfants.

 

Récemment, un dimanche, nous regardions avec Maïlys des photos de quand elle été bébé. Sur un cliché, elle se tient à côté de moi alors que je suis enceinte de 8 mois. Elle me demande qui est le bébé dans mon ventre. J’ai un nœud à la gorge qui m’empêche, dans un premier temps, de lui répondre. J’ai toujours parlé librement de Margot devant Maïlys, cela n’a jamais été tabou mais nous n’en n’avons jamais discuté directement ensemble.

Elle sait, je sens qu’elle sait. Elle a saisit la brèche pour enfin pouvoir en parler. Je lui explique donc ce qui est arrivé à sa sœur. Je la sens soulagée, comme libérée, c’est même visible physiquement. Elle nous en parlera à plusieurs reprises la semaine suivante. Elle nous exprime ce qu’elle ressent, que c’est triste ce qui est arrivé, qu’elle aimerait bien qu’elle soit là, qu’elle aurait voulu lui faire un câlin... Elle nous demande aussi où elle est maintenant, comment s’est passé son départ… Cette conversation a été très bénéfique. Elle qui avait tout suivi, vécu, subit, elle a enfin trouvé son espace de parole. Il était grand temps !

 
 

Aujourd’hui, nous sommes une famille heureuse. Nous avons jusqu’à présent échappé aux statistiques !! Notre amour a été plus fort que tout. Quand les choses nous échappent, il y en toujours un pour rattraper l’autre. La communication reste le maitre mot de notre fonctionnement.

Je ne vais jamais au cimetière, ma fille est partout avec moi. Bien sûr, il m’arrive d’être profondément triste mais je suis convaincu que la Nature fait souvent bien les choses et que s’il en a été ainsi pour Margot, c’est que peut-être, aurait-elle eu une vie faite de souffrances. J’ai confiance en la Nature et j’ose espérer que où qu’elle soit, en terre, dans les cieux, ou je ne sais où, elle est en paix.

J’ai presque 28 ans, le temps a passé, la vie a continué. Ma douleur est moins vive. Le chemin parcouru a été périlleux, rempli de colère, déni, troc mais aussi riche de rencontres et d’émotions nouvelles.

Après la lune, nous sommes à l’aube d’une nouvelle vie…

Amandine

Publié dans les témoignages

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N
Que d'émotions à la lecture de ton témoignage! Je suis boulversée de lire noir sur blanc toutes les souffrances que vous avez pu endurer. Aujourd'hui, je m'en veux un peu de ne pas avoir su être présente, même silencieusement. <br /> Mais un autre sentiment m'est apparu aussi, la joie de voir à quel point vous êtes heureux aujourd'hui avec vos merveilleuses petites filles.  Vous êtes magnifiques et je vous souhaite beaucoup de bonheur.<br /> Sincèrement.<br /> Noémie
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D
Merci pour ce beau témoignage, même si je n'ai pas connu la douleur de la perte d'un enfant, comme thérapeute j'ai accompagné plusieurs mamans et jusqu'à présent pas de papas désenfantés et je retrouve dans ton témoignage des choses importantes comme le refus de s'écouter, la prise en charge des proches, la mise à distance (nécessaire dans un premier temps me semble t-il), la difficulté d'en parler, la nécessité d'en parler avec les autres enfants. Bravo et merci pour ta vitalité et ton implication dans ce partage.
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